CIPRA: Centre d'Instruction Pilote Rousseau Aviation.
Ecole IFR
ROUSSEAU AVIATION est une petite compagnie qui fait quelques lignes , dont la desserte de la Bretagne. Elle sera reprise par TAT, Touraine Air Transport qui s'appellera ensuite, Transport Aériens Regionaux.
Nous commençons les vols sur monomoteur Cessna avec quelques vols de nuit en local du terrain, la première qualif bi et l'IFR en vue du test sur un Twin-Bonanza,
La Formation IFR passe bien évidemment par le simulateur, ça coute moins cher et l’on peut mettre en pause une phase de vol, reprendre en arrière, etc.
Petite particularité de l'époque, impensable maintenant:
notre instructeur, un gars très compétent, bon pédagogue et sympathique, Alain Béasse, n'est pas pilote, pas même pilote privé, mais il connait toutes les procédures IFR et nous fait faire de très bons entrainements.
Nous sommes en 1973, le simu, FRASCA, a un tableau de bord rudimentaire. Cela suffit pour tout ce qui est gestion des trajectoires avec des avions dont l'avionique n'est pas plus évoluée.
Le « Twin »F-BLEU, une bonne grosse machine à la cabine vaste et large.
Une version a trois sièges de front, c'est tout dire
du confort seulement à deux.
Les moteurs ronflent fort,
un bon gros bruit.
De plus, il est assez physique, sur un moteur, il faut le tenir et ne pas mollir sur le palonnier.
Le test final doit commencer à Toussus le Noble où nous allons à la rencontre de notre testeur, un pilote de ligne d'Air-Inter. Il a pour nom l'une des saisons de l'année, je ne vais pas le nommer, je vous laisse choisir :-) .
Ce type n'a jamais pris en compte les facteurs humains. Il se prend très au sérieux, vous allez voir.
Après notre prise de contact, très sèche, il interroge un de mes collègues qui commence la série de tests. Nous sommes trois candidats.
Interrogation sur la fiche de percée de Toussus. Tout d'un coup il se fait un cinéma sur cette fiche qui n'est soi-disant pas règlementaire, les calculs de minimas indiqués ne sont pas bons, ça ne colle pas avec la règlementation...un cinéma...et je ne vous dis pas tout. Finalement, il demande à voir le commandant d'aérodrome pour lui dire ce qu'il pense de cette foutue fiche de percée... ! Un Con avec un grand C.
Le commandant un peu éberlué finit par lui démontrer qu'elle est tout à fait en règle cette fiche. Nous avons perdu du temps sur le planning de la journée et ce Connard a réussi à coller la trouille à mon collègue qui est blanc/vert avant la mise en route.
Nous sommes deux autres candidats un peu inquiets, à suivre depuis les places arrière le déroulement du test. Les gaffes se succèdent, nous assistons impuissants à sa débâcle tout en nous demandant ce que nous allons bien faire quand ce sera notre tour.
En tant ordinaire, ce gars-là est plutôt bon. Mais après tout, ça fait partie du boulot de pilote que d'assurer quoiqu'il arrive. On peut rencontrer des situations bien particulières, conditions de vol, conditions d'exploitation, conditions personnelles. En vol aux instruments surtout, il faut bien rester dans le vol et pas pédaler derrière l'avion.
Atterrissage au Touquet, le verdict tombe: recalé.
Maintenant c'est mon tour. Là encore, il me demande je ne sais plus quoi, c'est un peu biscornu, une approche radiocompas à contrepiste que j'annonce à la tour, laquelle ne comprend pas très bien la finalité de nos évolutions.
Coup de pot ! une radio nous lâche, IFR impossible, je suis plutôt satisfait car je ne le sentais pas du tout ce test, ça semblait mal partir. Soulagement. Nous laissons le testeur au Touquet, il a trouvé un avion de passage pour rentrer, et nous, nous rentrons à la base en vol à vue avec notre copain bien dépité parce que pour lui, c'est une rallonge de stage et ça a un cout élevé ces heures supplémentaires imposées sur bi avant le prochain test.
J'ai trouvé un futur employeur avant la fin du stage. Je prends l'option de partir en Aviation d'Affaires plutôt qu'une hypothétique place d'instructeur au CIPRA. Méfiance maintenant après les missions annulées en Afrique, on ne m'a pas proposé un contrat en bonne et due forme et à priori, j'aurai un meilleur salaire que celui de mes instructeurs.
Un nouveau testeur est désigné pour mon test final. Je demande à faire les procédures en anglais pour avoir en prime la qualification radio internationale , la QRI.
À la difficulté du test, j'ajoute celle de l'anglais que je maitrise encore bien mal. On peut faire ça en vol, ça changera et pas dans le sens de la simplification bien sûr, et c'est tant mieux parce qu'avec les conditions d'exploitations et l'intensité du trafic à venir, il faut bien maitriser l'anglais aéronautique.
Il est arrivé avec un avion qui avait du retard et « une copine » qui l'attend ! Je suis installé, je me concentre en l'attendant. À peine arrivé, il me demande de mettre en route, je n'ai que le temps de lui dire un bonjour rapide. C'est le rush, je bafouille mon anglais, mais ça va, je suis cool, j'entame mon vol avec assurance, assez d'assurance pour qu'à l'issue d'une procédure à Rennes il me demande de rentrer sur Dinard ou nous descendons un ILS après une approche demandée rapide.
Au parking, j'ai à peine le temps d'arrêter les moteurs et de le voir partir remplir les papiers avec mon instructeur. Il se souvient qu'il n'est pas validé pour la délivrance de la QRI...! Tant pis, je la ferai plus tard, en vol aussi. Je ne l'ai pas revu, il est parti rejoindre sa copine.
IFR, je suis qualifié IFR, c'est énorme.
Un soulagement formidable après ces mois de bachotage et d'incertitude.
Rendez-vous compte, Je peux voler dans les nuages , je peux voler de nuit. Je peux voler 24 h/24, fini les limitations météo, fini les limitations LS / CS, lever de soleil, coucher de soleil.
Je vais connaitre la magie
des vols de nuit
dans l'atmosphère feutrée
des cockpits aux tableaux de bord, dont les instruments
faiblement éclairés deviennent notre seul horizon.
Je suis enfin entré dans cette aviation moderne que j'attendais. J'ai rejoint les « Pro » qui volent tous temps, fini les tours de piste sur des « trapanelles », je vais voler sur de grosses machines bien équipées.
Un job m'attend, un avion moderne, un Navajo, avec une instrumentation moderne, une porte d'embarquement à l'arrière, ça fait sérieux, on ne monte plus sur l'aile comme sur une majorité de bimoteurs anciens, Piper Aztec, Apache, Beechcraft Baron, Cessna 310, etc.
Petite histoire.
Vous savez que Jacques Brel passionné d'aviation pilotait un avion aux iles Marquises. C'était aussi un Twin-Bonanza.
Il a été qualifié IFR en avril 1970 à Genève-Cointrin à l'école « Les Ailes ». Le jour de son test, un autre candidat, professionnel, s'est fait lui « bananer », désespéré car sans un sou pour un entrainement complémentaire.
Jacques, en quittant l'école, avec la grande générosité qu'on lui connaissait, discrètement, a laissé un chèque pour ce pilote qu'il avait côtoyé plusieurs semaines. Chapeau Jacques Brel.
Le Twin F-ODBU de Jacques Brel
tel qu'il a été exposé longtemps avant d'être totalement
remis en état et maintenant exposé bien à l'abri.